Le poète
Nous pensons à ces navires qui reposent dans le port pavé d'étoiles. La lune se promène comme un berger dans les yeux de L'éternel voyageur. Il ne découvre aucun signe, le seul murmure qu'il entend est ce faible tremblement de lèvres au dessus des lampes d'eau, un faible tremblement... Il efface d'un doigt les plis de son ombre, une à une, les maisons s'éteignent, se ferment sur ses craintes, sur ses amours. Il lui suffit de suivre les ornières pour rejoindre l'orage.
Dans ses yeux bruns et veloutés, il y a des terres, des forêts, de la pluie... Il s'éveille au moment où les premières lueurs du jour commencent à poindre, à onduler vers les végétaux fauves et violets du vent
Pluie
La pluie bat sur la vitre, neuve écume d'un poème. Les yeux vides, nous entrons par les portes dorées des monuments détruits dans une ombre nocturne. Oh, nonchalante musique des cheveux au vent dont les serrures imitent vainement les bâillements de l'onde. Nous tentons d'étreindre des mains blanches qui voguent doucement sur les rubans vert pomme du ciel. La gerbe des saisons va croitre, la lumière, déjà morte, murmure et semble relater la mémoire des plantes au-dessus des toits gris.
Maximes
Le poète n'aime guère se mettre en vitrine de peur de s'abîmer à la lumière.
Une main d'os s'est posée sur mon épaule, une ombre m'a souri, la mort m'empruntait le hasard.
J'évoque une espèce de néant pieusement suggérée par d'autres fantômes.
Qui s'abat comme un arbre traduit le sens de l'écriture.
Prison fluide et silence,
voici mes deux grands maitres.
Accomplir sa destinée,
c'est sommeiller dans l'ombre.
L'attente est un lit défait sur la parole.
Ne pas attendre,
ne pas entendre ceux qui attendent.
Soirée
L'oiseau versait le ciel au fond d'un arbre rouge.
Il cassait les fumées d'un visage trop gris.
Et les passants se réjouissaient sur des lampes de marbre
D'avoir à ne pas lire des livres rabougris.
L'oiseau cassait des mains de sang, des mains de plume et de lettre.
Il semblait que la lune consumait des regards,
Les pierres de la nuit transperçaient des fenêtres,
Arrêtes si tranchantes que l'homme cessait d'être,
Cessait de marcher sur les routes, blême et hagard.
Déjà, quelques volets bruissaient le long des rives
Que je formais de mes mains, assoiffées de sanguines
Oranges... Les routes bleuissaient et dissipaient les rides
De mes yeux fatigués de lire du muguet.
La voie lactée en plein Paris, mugissait, mugissait,
Et les voitures se garaient dans des angles d'angoisse,
Pour ne pas s'arrêter en face de l'absurde.
Cette femme nue qui lisse de deux doigts
Ses cheveux blonds, le jour.
Mugissait, mugissait, les verres s'entrechoquaient,
Cinq heures déjà que les forêts battaient leur plein,
La pipe en bouche, je guettais sur un quai
La venue de mon rêve déguisé en mille pattes.
Je m'endormais obscur dans un caveau, mon corps...
Mugissait, mugissait, cessez ces flammes !
Je ne peux alourdir mon regard d'oiseau bleu.
Une fumée de moins va s'inscrire dans l'âme,
La rosée à pas de loup va descendre sur le pont.
Passé, présent, passé, je ne sais, mugissait...
Cessez les mouvements de mon cadran d'horloge !
Elle est là-devant moi, l'aimerais-je ? Oui, pourquoi ?
Je ne peux être roi et l'amour me fait fuir,
Des colombes se tordent de douleur sur les parvis de l'ombre,
St Jacques se devait de réciter par cœur,
Les livres de l'amour qui sont deux sur mes pas,
Qui sont trois dans la glace brisée de mon cœur.
Aube, adieu, je pars sans toi, dénouer les canevas
Qui tressent des aiguilles d'étoile filante.
Adieu, les routes lèchent la peau blême du soleil,
Le monde va cesser de classer les étoiles
Dans un bruit de cristal et de cartes biseautées.
Voyageur
Voyageur, sur la pâleur de ton visage, les cris
fervents des oiseaux de passage précèdent les clairières. Des boutiques nocturnes séquestrent des trousseaux de clefs dans leur tiroir de fer. Qui dépliera demain le beau journal du crépuscule ?
Direction réveil matin, un piano sur la tête. Les murs ne saignent pas... Un laurier sur ta poitrine.
Direction réveil matin en voiture rouge sang, un piano à queue de lyre sur ta tête qui déteint...
Les yeux coulent...
Larmes venues d'on ne sait où,
larmes trop nues,
une main dans la houle.
Le pianiste
Il pleure au soleil et le visage mort,
il ne suit des yeux que le vol de l'écho,
il est ongle de chair et ses fruits se dessèchent
à vouloir le vieillir.
Amant de l'arbre nu, élu de la beauté,
ta maison a la migraine de mes vents,
maladie plus froide et plus verte que le ciel,
arrache ma mémoire à la terre illettrée.
La migration de doigts devient un feu de bois.
Un homme
Un homme, un tonneau sur l'épaule, chemine en grand silence dans un village bondé de bruits de poudre. Personne... Seulement des murs, des murs interminables sur lesquels subsistent quelques vieux poèmes délavés, déchirés... Dernière une porte devant laquelle il s'arrête, une femme git, face vers le ciel, assassinée...
Aérien
Les fagots de ma voix se désagrègent sur les stries de la route qui abrite des pensées de cage ouverte. Un oiseau déchire avec son bec un beau chapeau à plumes sur une branche d'un arbre qui, oh, merveille, à la couleur du temps. Mon passage est salué par des réverbères bleus et je cours à perdre haleine. 0 l'horizon, des troupeaux de moulins crachent des livres dans le ciel qui écrit avec une vitre de retard "Minuit, cinquième carte à jouer..." sur un nuage de lait dans une tasse de thé.
L'homme borgne
Au jour naissant, il se sent seul, irréel, terriblement lointain. Il ne lui reste plus qu'à dire adieu aux murailles, aux portes cochères, aux fenêtres, à la lumière du jour, à la couleur de l'air, pour rejoindre ses liens et ses éclats de rire. Le ciel devient vitreux comme la mort.
Autour de lui, des voix vomissent des injures, des poings se tendent, on ne s'attendait pas à sa douceur de vieil oiseau blanc tranquillement échoué dans un livre comme en bout de quai.
Il ramasse des corps, des regards qui se croisent, des lignes sèches de terre, des arbres, des maisons, une force invisible le rappelle à ses pierres, à sa folie de dire adieu jusqu'aux limites du silence.
Son œil unique et sombre, sans paupières, s'accroche violemment à la lumière et dénude sans faiblesse, les faux semblants, les masques. Il gagne ainsi ses lettres de noblesse, franchit, alerte, les portes des châteaux.
Au-dessus de sa tête, le ciel peut encore se prononcer bleu clair...
Mais plus son regard baisse vers l'horizon, plus il se grisaille et enveloppe l'épaule des choses d'un halo triste.
On ne s'attendait pas à sa venue, à ses forêts de lune qu'il prodigue aux aveugles.
Ne vous méprenez pas, son apparence est tromperie, il ne ment pas, il part...
Lisière
Dernière page d'un livre, ile déserte
que l'on ne connait pas.
Parole claire,
fenêtre ouverte,
un nom d'oiseau délivrera nos pas,
nos mille pas nouveaux
sur les chemins possibles d'un pays céleste,
lavé de bruits de neige où nous joignons, déjà, nos mains...